Résumé :
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C'est en 1997 qu'étaient publiés les premiers résultats de l'étude clinique la plus vaste et la plus exhaustive (de même que la plus coûteuse) jamais entreprise sur l'efficacité des traitements. Cette étude, nommée Projet MATCH (Matching Alcoholism Treatment to Client Heterogeneity), était lefruit d'un travail d'équipe auquel prenaient part les plus brillants esprits américains de la recherche sur l'abus de substances. Elle devait répondre à deux questions qui, depuis des décennies, déconcertaient le milieu. La première de ces questions portait sur les effets différentiels destraitements. Dans des essais cliniques contrôlés, on a pu observer que certains types de traitements, différents sur le plan conceptuel (par ex. la thérapie cognitivo-behaviorale ou une approche basée sur l’appui communautaire ou encore l'entraînement aux habiletés sociales) assuraient de meilleurs résultats que l'absence de traitement. Cependant, si on comparait ces différentes approches, aucune ne démontrait une efficacité nettement supérieure aux autres pour l'ensemble des clients. Ladeuxième énigme concernait l'efficacité du traitement en général. Après des décennies de recherche et développement sur les traitements et indépendamment du type de programme offert, le pronosticpost-traitement dans les cas d'abus de substances demeure tout au mieux médiocre. On arrive en fait à un constat assez troublant : un « traitement fructueux » ne survient qu’un peu plus fréquemmentque la rémission spontanée en l'absence de tout traitement. Au début des années 80, les scientifiques s’intéressant aux addictions ont proposé une hypothèse pour expliquer ces observations pour le moins déconcertantes. On reconnaissait que parmi l’ensemble des clients soumis à une forme de traitement ou à une autre, il y aurait ceux qui en bénéficieraient, d’autres dont la condition demeurerait essentiellement inchangée, et d’autres encoredont la condition s'aggraverait. Lorsqu’un traitement spécifique réussissait à donner de bons résultats, on considérait que les individus qui l’avaient suivi avaient été adéquatement « appariés » alors que ceux pour qui le traitement avait échoué avaient été « mal appariés ». Même en comparantdifférents traitements, ces constatations seraient toujours les mêmes : certains individus profiteraient fort bien d’une forme particulière de traitement alors que d'autres ne montreraient aucun changement ou, pire encore, verraient leur situation se détériorer. De façon générale, on constatait que l'effet moyen de tous les traitements était à peu près équivalent. Ceci expliquait la première énigme. De plus, si les clients pouvaient être plus judicieusement orientés vers le type de traitementpour lequel ils étaient le mieux « appariés », en fonction de caractéristiques individuelles précises (l'appariement client – traitement), les résultats s'amélioreraient grandement : on abordait ainsi le deuxième problème. C'est essentiellement ce en quoi consiste « l'hypothèse de l'appariement » : les individus qui sont adéquatement appariés à un type de traitement auront de meilleurs résultats que ceux qui ne sont pas appariés ou qui sont mal appariés. La question n'est donc pas de savoir quel traitement est supérieur à un autre pour l'ensemble des individus mais plutôt de déterminer quel traitement est le plus approprié à tel type d'individus et dans quelles conditions. Les premières études menées sur l'hypothèse de l'appariement se sont déroulées sur une petite échelle et ont donné des résultats préliminaires prometteurs.Le projet MATCH, quant à lui, se proposait de scruter minutieusement l'hypothèse de l'appariement. Le projet, d'une durée de huit ans, a monopolisé des ressources inimaginables, tant au niveau des experts qui y étaient associés que financièrement (30 millions de dollars US jusqu'à ce jour). Plus demille clients ont été recrutés dans des centres de traitement de l’alcoolisme un peu partout aux États- Unis. Ils étaient assignés de façon aléatoire à l'un de trois programmes structurés de traitement conceptuellement différents : une thérapie cognitivo-behaviorale (TCB), une thérapie motivationnelle brève (TM), et la facilitation des douze étapes (FDÉ). Ces programmes étaient offerts soit comme traitement principal, soit en postcure après un traitement intensif standard en externe. Dixhypothèses principales sur l’appariement et 60 hypothèses secondaires ont été formulées à partir des données les plus prometteuses sur l'appariement que l'on retrouvait dans la littérature sur l'abus desubstances. On a cherché à déterminer si certaines caractéristiques individuelles pouvaient s’avérer de bons facteurs d’appariement des clients à des traitements spécifiques, ces caractéristiques étaient laperturbation psychologique, le fonctionnement cognitif, le réseau de soutien social et le sexe. L’option thérapeutique était déterminée par randomisation des clients. Une méthodologie extrêmement rigoureuse permettait d’évaluer minutieusement les clients et les résultats, d’assurerl'intégrité des traitements offerts, de réduire le décrochage des participants et de minimiser l'impact d'autres facteurs confusionnels au cours des trois années de suivi. La publicité entourant le projet MATCH tout au long des huit années qu'il a duré a provoqué l'anticipation, quelque peu irréaliste, deconclusions percutantes. Les données, lorsqu'elles ont finalement été présentées, étaient tout à fait inattendues et portaient extrêmement à controverse. Plutôt que d'élucider le rôle de l'appariement client - traitement, le projet MATCH a complètement remis en question autant ce qui était généralement admis sur l'efficacité des traitements que le processus même de recherche en pratique clinique. Ce rapport résume brièvement les étapes qui ont mené à cette étude remarquable, sonapproche méthodologique unique, ses principaux résultats ainsi que la controverse qu'elle a suscitée. Nous aborderons aussi les plus récentes interprétations qui font suite aux analyses secondaires desdonnées du projet MATCH. En conclusion, nous tenterons d'appréhender le rôle actuel de l'appariement dans le traitement de l'abus de substances et discuterons des nouvelles orientations explorées dans la foulée de cette étude marquante.
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