Résumé :
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Cette question posée par un patient lors d'une consultation d'addictologie semble bien poser le problème central dans l'addiction : est-elle une maladie mentale ou physique ? Si la définition actuelle, centrée sur la notion de compulsion, fait d'elle une maladie cérébrale, son inscription dans le DSM tend à brouiller les pistes. On peut résoudre le problème en admettant que la psychiatrie peut être biologisée et que tout trouble mental s'explique par un trouble du cerveau, mais c'est là opter pour un parti pris théorique qui n'est ni nécessaire ni sans difficultés. C'est en effet trancher dans un débat, le mind-brain problem - l'esprit est-il seulement le cerveau ? - qui n'a pour l'heure aucune réponse unanime. Il nous semble que l'application actuelle de la notion de maladie à l'addiction, notamment par la notion floue de compulsion, est révélatrice d'une ambiguïté liée à la réduction de l'esprit au cerveau que l'on pourrait interroger. En outre, cette réduction semble laisser au corps un rôle relativement mineur dans l'addiction par rapport à ce que suggère la pratique clinique. On peut en effet observer que les soins offerts dans certains centres de cure et de postcure, sans aller jusqu'à sous-entendre une coupure radicale entre l'esprit et le corps, proposent des ateliers qui donnent à penser que le corps a une place centrale dans le soin de l'addiction. Si certains sont assez classiques (théâtre, relaxation, expression corporelle), d'autres semblent proposer un soin nouveau, original, centré sur le rapport au corps tels que la psychomotricité (« prise de conscience de son corps par l'eutonie », pour ceux qui « ont besoin de mieux investir leur corps ») ou encore le psychocorporel (« prendre conscience de son vécu et de ses ressentis corporels », « mieux accepter son corps dans sa globalité »). Ces ateliers semblent dire qu'il y a quelque chose à réparer, chez les patients souffrant d'addiction, qui relèverait du corps. S'il en est ainsi, alors c'est que quelque chose à ce niveau-là s'est cassé, que ce soit au cours de l'installation de la dépendance ou bien de manière antérieure à celle-ci. Le rapport douloureux à son propre corps pourrait ainsi être une des raisons de l'addiction, comme dans les troubles de l'alimentation, ou bien la conséquence d'une consommation de stupéfiants afin de rendre son corps plus performant par exemple. En définitive, il nous semble que la réduction de la dimension corporelle de l'addiction à sa composante cérébrale révèle non seulement certaines ambiguïtés non réglées dans le rapport de l'esprit au corps et en particulier au cerveau, mais pourrait laisser échapper une relation de l'addict à son propre corps bien plus complexe qu'il n'y paraît, laissant entrevoir, s'il en était encore besoin, la complexité du phénomène addictif comme maladie.
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