Résumé :
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Le présent article s’appuie sur le concept de « récit » pour analyser les principaux cadres médiatisés qui investissent des significations de la crise des opioïdes au Canada. Un échantillon de 400 articles publiés entre 2015 et 2018 a été soumis à une analyse de la rhétorique des cadres. Ce faisant, quatre cadres médiatisés furent soulevés : prohibitif, médicalisé, structurel et sanitaire. Si chacun d’entre eux donne un sens particulier à l’enjeu, une tendance transversale relève du changement de statut des consommateurs d’opioïdes, qui passent de « criminels » à « victimes-citoyens ». Notre analyse montre que cette transformation émerge au gré de discours de généralisation du risque et de stratégies discursives favorisant l’identification à l’usager et à sa famille. Ceci « dés-altérise » le consommateur, ce qui a comme double retombée de susciter la sympathie chez le public et de légitimer les demandes de soins auprès des décideurs. Émerge ainsi la figure de l’« entrepreneur de compassion », soit l’individu qui encourage la régulation des usages de drogues par des logiques de soins plutôt que punitives. Cette figure plaide plus précisément en faveur de l’implantation de « soins en réduction des méfaits », un concept employé de façon polysémique dans l’ensemble des cadres. Enfin, ces dynamiques de victimisation de l’usager légitiment le cadrage de cette crise comme un « enjeu d’approvisionnement toxique en drogues » et surlignent, aux niveaux provincial et fédéral, les méfaits des politiques prohibitionnistes qui affectaient les populations marginalisées depuis longtemps. En somme, nous émettons l’hypothèse que cette conceptualisation de la crise des opioïdes s’associe à la fin d’un paradigme et ouvre de nouvelles possibilités, notamment en permettant aux idées de décriminalisation et d’approvisionnement sécuritaire en opioïdes d’intégrer le discours public.
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